Je ne suis pas scientifique et encore moins spécialiste des poulpes. Mais je me demande si ces messages à l’attention des humains ne contiennent pas quelque avertissement, qu’il serait judicieux d’écouter. Sur le mode: arrêtez de nous pêcher, de nous frapper en espérant nous attendrir. Et abandonnez votre idée saugrenue de nous enfermer dans des fermes aquacoles.
A Gran Canaria (Espagne), une ferme gigantesque va élever un million de pieuvres sur une parcelle de 52000m2, pour produire 3000 tonnes par an. Devant la surconsommation actuelle de poulpes dans le monde, ça pourrait paraître une bonne idée. Sauf qu’on peut faire confiance à l’être humain pour aggraver les problèmes au lieu de les résoudre. Pour plusieurs raisons: il est prévu 10 à 15 animaux par mètre cube d’eau, ce qui pour une espèce réputée solitaire, va entrainer promiscuité, agressivité et cannibalisme; les animaux vont se blesser dans les cages; l’abattage, avec de l’eau glacée, entraine une peur et une souffrance prolongée. Donc, pour sauver les poulpes sauvages, on devrait faire souffrir leurs homologues d’élevage? Enfin, un poulpe mange trois fois son poids chaque jour: imaginez la quantité de poissons qu’il va falloir pêcher pour nourrir ces poulpes! Cruel, absurde, et contre-productif.
La seule solution pour ne pas réduire drastiquement la population de poulpes, c’est… de ne pas en manger.
Imaginez en plus que ces poulpes élevés comme de vulgaires poules en batterie ne viennent à se révolter ( ce que ne feront jamais les poules, trop connes pour ça). Savez-vous qu’un poulpe peut se glisser dans n’importe quel trou, pourvu que son bec corné passe? Un orifice de serrure ou un espace sous une porte ne lui feront pas peur. Imaginez qu’avec toute la douleur accumulée depuis des millénaires que l’homme le frappe et l’accommode à toutes les sauces, avec toute la mémoire de ses souffrances et des souffrances de ses aïeux – le transgénérationnel ne concerne pas que les humains – il décide de se venger?
Huit cerveaux, trois coeurs, et 500 millions de neurones: c’en est bientôt fini de l’être humain. Je yoyotte? C’est Théodore Monod lui-même qui l’a prédit***: après le règne des humains viendra celui des poulpes. Et s’ils sont rancuniers et pratiquent le «oeil pour oeil, tentacule pour tentacule», je vous prédis que l’humain se prépare de sales quarts d’heure en tête-à-tête avec un kraken. Et pourtant je ne suis pas Paul le Poulpe.
C’est pourquoi aujourd’hui solennellement et par écrit, je fais le serment de ne plus manger de poulpe (en espérant que d’ici là il aura appris à lire et tombera sur mon blog). Et je signe la pétition pour l’interdiction de ces fermes de la honte. Pour échapper, si c’est possible, à l’inévitable vengeance du Poulpe.
Faîtes pareil, si vous m’en croyez.
* Documentaire sud-africain de Pippa Ehrlich et James Reed, 2020. Sur Netflix.
**Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation, Actes sud 2021.
*** Et si l’aventure humaine devait échouer, Le Livre de poche, 2000.