Dans un premier temps, le mari cocu ne remarque rien ou s’en désintéresse. Mais quand Léonie demande la séparation de corps – le divorce n’existe pas – halte-là, plus rien ne va, tu es à moi, et surtout je ne veux pas te payer de pension! Comme dans les pires vaudevilles, le mari engage un détective et la fait suivre. Il lui faut plusieurs mois pour la coincer, mais il y parvient: le 5 juillet 1845, les tourtereaux sont surpris dans un hôtel du 1er arrondissement. Et que croyez-vous qu’il advienne? La maréchaussée laisse partir Totor, qui rappelle sur tous les tons qu’il est pair de France – c’est vrai, mais ça n’est pas une raison – et coffre la demoiselle. Courageux, mais pas téméraire, le papa des Misérables! Il faut dire qu’une femme et une maîtresse l’attendent dans leurs maisons respectives, Adèle Hugo, mère de ses enfants, et Juliette, dont je n’ai pas encore parlée parce qu’elle m’agace.
Léonie est coffrée pendant deux mois dans la prison Saint-Lazare pour «femmes perdues», puis dans un couvent encore plusieurs mois: ça t’apprendra, fille d’Eve, vile succube, à aller dévoyer les honnêtes hommes ! Pendant ce temps-là, dans les salons parisiens, Totor pérore, à la maison discute carrière politique et dîners mondains avec Adèle et dans un petit appartement discret s’occupe de l’abricot de Juliette: c’est si harassant d’être un homme, parfois!
Quand elle a fini sa peine, Léonie reprend discrètement contact avec le grand homme. Le prix à payer est bien lourd: outre la prison et le couvent, elle est séparée de ses enfants et doit affronter la honte du flagrant délit; elle qui a connu la liberté infinie des paysages du grand Nord est désormais enfermée dans les préjugés de l’époque et montrée du doigt. Mais elle tient bon. Et Hugo lui écrit des poèmes dans le recueil des Contemplations: on a les compensations qu’on peut.
Ca dure, ça dure, et un beau jour, ça s’arrête: lasse d’être la maîtresse en second d’un homme marié, Léonie fait un paquet des lettres d’amour envoyées par le grand homme et les envoie à la maîtresse n°1, l’infortunée Juliette.
Oui, je sais, c’est bas, mais Léonie n’a jamais prétendue être une sainte. Juliette fait une crise, comme ça lui arrive régulièrement, puis pardonne, comme toujours. Et comme elle a une vie de cocue et la chance qui va avec, survient le coup d’état du 2 septembre 1851: ennemi juré de Napoléon le Petit, Hugo doit s’enfuir. Juliette organise son exil à Bruxelles, et s’en va avec lui pour 19 ans d’exil à Jersey et Guernesey, laissant sur le carreau l’épouse et la maîtresse n°2.