Trois petits tours… (7)

Betty Pack, l’espionne au corps de velours

Ce mois de juin a vu les quatre-vingts ans du débarquement en Normandie. On s’est souvenu, ému, congratulé, on a beaucoup commémoré, célébré, glorifié, banqueté, appelé à l’héroïsme des uns – surtout celui des autres – engagé les enfants à se sacrifier – surtout ceux des autres. On a évoqué, le dos bien droit et la voix bien ferme, les héros d’hier, soldats français, anglais, américains, canadiens, rendu un vibrant hommage aux résistants, vous savez, ces rebelles que les gouvernements n’apprécient jamais sur le moment, plutôt après, quand l’Histoire leur a donné raison.

Mais il est une catégorie d’acteurs des conflits à qui on ne rend jamais hommage: les espions. Et encore moins les espionnes. Pourtant, sans eux, il est impossible de gagner une guerre.

Quand on tape Betty Park sur Google, on tombe automatiquement sur Amy Elizabeth Thorpe, son nom de baptême. Son nom de code: Cynthia. Déjà, les pistes sont brouillées. Une certitude: sans elle, la Seconde Guerre mondiale n’aurait jamais été gagnée par les Alliés. 

Rien ne prédestinait cette jeune américaine, fille de haut gradé, à devenir un Blond Bond en jupons. Rien sinon un besoin immodéré de se faire aimer de son cher papa trop distant et un incommensurable ennui à devoir supporter le quotidien d’une femme de sa classe sociale, entre mondanités et bébés à élever.

Elle se marie très tôt et enceinte pour en finir avec l’adolescence, laisse son fils dans une famille d’accueil où elle oubliera d’aller le rechercher, suit son mari diplomate en Espagne, tombe amoureuse de la corrida et des Espagnols, surtout certains, et en pleine guerre civile aide des partisans de Franco à franchir la frontière: à l’époque, ses convictions penchent plutôt très à droite. A moins qu’il ne s’agisse simplement de la jouissance éprouvée à affronter le danger. Le danger lui apporte autant de plaisir que l’amour.

Cynthia

C’est aussi pendant ces années-là qu’elle se rend compte du pouvoir que son corps exerce sur les hommes: il sera sa meilleure arme. Grande, très distinguée, le charme d’une beauté hollywoodienne, Betty a tout pour plaire aux hommes. Enorme qualité: elle sait aussi se taire et écouter les confidences sur l’oreiller.

On finit par remarquer cette femme qui n’a pas froid aux yeux. «On», ce sont les services britanniques installés aux Etats-Unis par Churchill, trois cents espions avec à leur tête, William Stephenson, un ancien héros de la première guerre. Très vite, il détecte l’extraordinaire potentiel de cet agent en pointillé, qui, en plus, a un mari diplomate, donc des entrées partout où il faut. Betty accepte, par goût du danger et haine du nazisme: il semblerait que ses inclinations pour l’extrême-droite se soient limitées à Franco. Le mari, elle l’oublie, et se lance à fonds dans les missions qui lui sont confiées. Première mission: rapporter de Pologne des informations sur Enigma, la machine de chiffrement allemande qui code toutes les opérations militaires nazies

Pour parvenir à ses fins, elle se sert de son corps, véritable arme de guerre, et de la fascination qu’exercent ses talents au lit sur un malheureux comte polonais, Michal Lubiensky. Il faudra encore quelques mois à Alan Turing pour décoder Enigma.

C’est au tour d’un Italien de tomber entre ses griffes qu’elle a jolies: Alberto Lais, attaché militaire, vendrait père et mère pour le plaisir de la contempler nue et de lui baiser chastement les pieds ( il semblerait qu’il ne puisse faire mieux). Il va lui livrer les codes de la marine italienne: une trahison qui permet à la flotte anglaise de détruire les navires de Mussolini au Cap Matapan le 28 mars 1941. Voilà une bataille qui a bien été perdue dans un lit.

Nouvelle affaire, nouvel amant: il s’appelle Charles Brousse, est attaché de presse auprès de l’ambassade de France à Washington, alors vendue au gouvernement de Vichy. Dévoré d’amour pour sa belle espionne, il aide Cynthia à ouvrir un coffre-fort à l’intérieur de l’ambassade: à l’intérieur, les codes secrets qui vont assurer le succès de l’opération Torch, le débarquement des Alliés en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Rien que ça.

En 1945, Betty-Cynthia se range des voitures et épouse son informateur préféré, Charles Brousse. Elle emménage avec lui dans un château qu’il vient d’acquérir à Castelnou, dans les Pyrénées-Orientales. A 35 ans, elle découvre les ineffables bonheurs de la vie de femme d’intérieur, et meurt treize ans après d’un insondable ennui, à moins qu’il ne s’agisse d’un cancer du poumon: un espion, ça fume énormément.  Après tous les dangers qu’elle a traversée, elle meurt dans son lit, comme n’importe qui, mais un peu tôt, à 53 ans.

Charles la rejoint sept ans plus tard, dans un incendie qui ravage une partie du château. Le feu, toujours. Les feux de l’amour?

Cynthia, de Stephanie des Horts, Albin Michel.

Écrit par : Sophie Denis

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