Trois petits tours… (10)

Ludmila Pavlitchenko, the Lady Death

Dans mon précédent post, consacré aux Guerriers de l’hiver, roman d’Olivier Norek*, j’ai abordé la vie de Simo Häyhä, soldat finlandais de la Seconde guerre mondiale, surnommé la Mort blanche et consacré plus grand sniper de tous les temps. Un récit en appelle souvent un autre: en effectuant quelques recherches sur ce beau métier qui consiste à dézinguer l’adversaire d’une seule balle dans la tête ou le coeur (sinon, c’est toi qui meurs), je suis tombée sur une histoire incroyable, celle de Ludmila Pavlitchenko, soldat de l’armée soviétique: elle s’est illustrée pendant la même guerre, mais contre l’Allemagne nazie, à Odessa et Sébastopol, et trois ans plus tard (première surprise). Ludmila était aussi sniper, snipeure, snipeuse, sni… vous dîtes comme vous voulez. Tireuse d’élite, donc. La plus célèbre de l’URSS, qui en compta quand même… 2000 (deuxième surprise)! Toutes passées par l’école militaire de Podolsk, dans les environs de Moscou.

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La vie de Ludmila commença en 1916 en Ukraine. Rien ne la prédestinait à s’illustrer dans les armes, sinon une prédisposition naturelle à viser juste, testée dans un club de tir alors qu’elle n’avait que 14 ans. A cet âge-là, elle était contente de surpasser les garçons, mais de là à en faire une vocation… Non, elle se voyait plutôt historienne:  après un temps à l’usine – passage obligé dans l’URSS  de l’époque – elle s’est même inscrite à l’Université de Kiev. Mais en juin 1941, Hitler lance l’opération Barbarossa, pensant venir très vite à bout de l’Union soviétique qui a eu tant de mal à vaincre la Finlande ( coucou Simo!).

Non, elle se voyait plutôt historienne:  après un temps à l’usine – passage obligé dans l’URSS  de l’époque – elle s’est même inscrite à l’Université de Kiev. Mais en juin 1941, Hitler lance l’opération Barbarossa, pensant venir très vite à bout de l’Union soviétique qui a eu tant de mal à vaincre la Finlande ( coucou Simo!).Ludmila est une des premières volontaires à s’engager et demande l’infanterie. La voilà quasi affectée aux taches ménagères – ben oui, c’est une femme – avant que l’Armée rouge ne se souvienne qu’elle est très bonne au tir aux pigeons, et l’affecte dans la 25eme Division d’infanterie. Pour la tester, on lui désigne ses premières cibles: deux officiers roumains, qu’elle abat à 400m de distance ( mais avec plusieurs balles chacun, tu gâches les munitions, Camarade). Elle fait beaucoup mieux par la suite: elle va abattre 309 soldats nazis, dont 36 snipers, avec une efficacité qui lui vaudra par la suite le surnom de Lady Death, donné par les Américains. (Pourquoi les Américains? Lisez jusqu’au bout). Parmi ses faits d’armes, un duel l’oppose à un sniper allemand pendant trois jours: trois jours allongée dans la neige, à attendre que l’autre fasse un faux-pas. C’est elle qui gagne.

Ses talents au tir n’ont d’égal que son courage: elle est blessée plusieurs fois; la première, elle fait même un arrêt cardiaque de cinq  minutes. A chaque fois, elle s’en sort. Ce n’est pas le cas du lieutenant Kitsenko, un autre sniper avec qui elle vit une belle histoire d’amour. Un jour, ils sont visés par des tirs de mortier: il la protège de son corps, est mortellement blessé, elle le ramène sur son dos jusqu’au poste de commandement. Ils ne se marieront pas. La mort de Kitsenko décuple son énergie à tuer.

On la promeut lieutenant, et on l’éloigne du front… pour l’envoyer aux Etats-Unis ( troisième surprise). Avec pour mission: convaincre Roosevelt d’entrer en guerre contre Hitler. Rien que ça. Elle a tout juste 25 ans.

Pendant trois mois, elle va faire la tournée des Etats-Unis  pour raconter son histoire. Très vite, elle s’énerve: les journalistes n’ont rien de mieux à lui demander que des conseils de maquillage au front ou la couleur de ses culottes ( pas vraiment une surprise). Un beau jour, elle explose: « J’ai 25 ans et j’ai tué 309 nazis. Et vous, pendant combien de temps encore allez-vous rester les bras croisés derrière moi? N’avez-vous pas honte?». Silence dans la salle… puis c’est l’ovation! Sans doute Ludmila se sent-elle portée par l’amitié qu’elle vient de nouer avec Eleanor Roosevelt, la femme du président. Amitié qui perdurera puisqu’elles continueront à s’écrire et se reverront en 1957, quand Eleanor sera reçue à Moscou: désormais veuve, l’ancienne first lady se démènera alors pour la paix.

Promue major, honorée par la médaille d’or du héros de l’Union soviétique (au masculin, hein), Ludmila finit la guerre en entrainant les futurs snipers. Après la guerre, elle reprend ses études d’histoire et devient chercheuse pour la Marine soviétique. Elle meurt en 1974 d’un arrêt cardiaque: elle n’a que 58 ans. Mais la vie ne l’a guère – et guerre – épargnée.

Ludmila n’a pas été la seule snipeuse, mais la meilleure. Citons aussi Maria Morosova, qui, à 18 ans, était capable de rester 12 heures durant couchée dans la neige. Ou Sasha Chliakhova, qui portait une écharpe rouge pour défier ses adversaires: bien sûr, l’écharpe finit par lui porter malheur. Quant à Natalia Kovchova et Maria Polivanova, elles travaillaient en binôme et moururent de même, encerclées par les Nazis, en se faisant sauter après avoir dégoupillé une grenade pour ne pas tomber entre leurs mains.

Ludmila est passée à la postérité grâce à un timbre édité de son vivant, et plus près de nous en 2015, au film Résistance de Sergueï Mokritsky. Elle a aussi écrit ses Mémoires, rééditées en 2020** et l’écrivaine Kate Quinn vient de lui consacrer un roman *** L’occasion d’en savoir plus sur ces femmes – un milion, quand même – qui se sont engagées dans l’armée soviétique pour combattre le nazisme.

Simo le Finlandais a quitté le champ de bataille en mars 1940, Ludmila la Russe y est entrée quinze mois plus tard. L’Histoire n’aura pas voulu que ces deux-là s’affrontent. Je m’interroge pourtant: qui aurait gagné? La Mort blanche? Lady Death? Ou aurait-on assisté à un ex-aequo? Mystère!

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* Editions Michel Lafon. ** La Mort rouge, Overlord Press. *** Le Diamant d’Odessa, éditions Hauteville.

****Sniper ne vient pas d’un verbe to snip, non non, mais du nom snipe, qui désigne la bécassine des marais.

Écrit par : Sophie Denis

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