Pendant trois mois, elle va faire la tournée des Etats-Unis pour raconter son histoire. Très vite, elle s’énerve: les journalistes n’ont rien de mieux à lui demander que des conseils de maquillage au front ou la couleur de ses culottes ( pas vraiment une surprise). Un beau jour, elle explose: « J’ai 25 ans et j’ai tué 309 nazis. Et vous, pendant combien de temps encore allez-vous rester les bras croisés derrière moi? N’avez-vous pas honte?». Silence dans la salle… puis c’est l’ovation! Sans doute Ludmila se sent-elle portée par l’amitié qu’elle vient de nouer avec Eleanor Roosevelt, la femme du président. Amitié qui perdurera puisqu’elles continueront à s’écrire et se reverront en 1957, quand Eleanor sera reçue à Moscou: désormais veuve, l’ancienne first lady se démènera alors pour la paix.
Promue major, honorée par la médaille d’or du héros de l’Union soviétique (au masculin, hein), Ludmila finit la guerre en entrainant les futurs snipers. Après la guerre, elle reprend ses études d’histoire et devient chercheuse pour la Marine soviétique. Elle meurt en 1974 d’un arrêt cardiaque: elle n’a que 58 ans. Mais la vie ne l’a guère – et guerre – épargnée.
Ludmila n’a pas été la seule snipeuse, mais la meilleure. Citons aussi Maria Morosova, qui, à 18 ans, était capable de rester 12 heures durant couchée dans la neige. Ou Sasha Chliakhova, qui portait une écharpe rouge pour défier ses adversaires: bien sûr, l’écharpe finit par lui porter malheur. Quant à Natalia Kovchova et Maria Polivanova, elles travaillaient en binôme et moururent de même, encerclées par les Nazis, en se faisant sauter après avoir dégoupillé une grenade pour ne pas tomber entre leurs mains.
Ludmila est passée à la postérité grâce à un timbre édité de son vivant, et plus près de nous en 2015, au film Résistance de Sergueï Mokritsky. Elle a aussi écrit ses Mémoires, rééditées en 2020** et l’écrivaine Kate Quinn vient de lui consacrer un roman *** L’occasion d’en savoir plus sur ces femmes – un milion, quand même – qui se sont engagées dans l’armée soviétique pour combattre le nazisme.
Simo le Finlandais a quitté le champ de bataille en mars 1940, Ludmila la Russe y est entrée quinze mois plus tard. L’Histoire n’aura pas voulu que ces deux-là s’affrontent. Je m’interroge pourtant: qui aurait gagné? La Mort blanche? Lady Death? Ou aurait-on assisté à un ex-aequo? Mystère!
.
* Editions Michel Lafon. ** La Mort rouge, Overlord Press. *** Le Diamant d’Odessa, éditions Hauteville.
****Sniper ne vient pas d’un verbe to snip, non non, mais du nom snipe, qui désigne la bécassine des marais.