Trois petits tours…. (1)

Catalina

CATALINA DE ERAUSO, la nonne-soldat

Une petite fille de 5 ans, c’est mignon, craquant même,  avec sa frimousse de bébé tout juste monté en graine, ses joues rondes comme des pommes, ses grands yeux encore pleins d’innocence. Alors pourquoi l’enfermer dans un couvent? Si tôt? Même à la fin du XVIe siècle en Espagne, c’est un peu rude, non?

C’est pourtant ainsi que s’est déroulée l’enfance de Catalina de Erauso, dite la Monja Alferez, la nonne-soldat, aventurier-aventurière, mercenaire, pourfendeur-deuse d’Indiens, fine épée et caractère ombrageux, née à San Sébastian en l’an de grâce 1592, dans une famille de la petite noblesse basque.

Catalina a 5 ans. Je l’imagine avec de longs cheveux noirs ( elle est espagnole), des joues rouges d’avoir trop couru, des yeux sombres et perçants (elle n’est pas conne du tout, la suite de l’histoire va le prouver), une moue un peu boudeuse, ses doigts qui tripotent le tissu de sa robe, droite et digne devant ses parents qui ont un truc à lui dire. Qu’est-ce donc de si important, alors qu’elle est si impatiente de retourner dans le jardin pour tyranniser le chat de la maison?

– Tu es grande maintenant (tu parles, même pas 1 mètre au garrot). Ta mère et moi avons décidé de te faire entrer au couvent des dominicaines.

Bande de bâtards! Quand on n’a pas les moyens d’élever ses gamins, on n’en fait pas!  C’est ce qu’elle a dû penser, la môme, mais, forcément, pas avec ses mots-là, ce n’était pas l’époque.

Parce que le couvent dans l’Espagne du roi Philippe III, c’était pas des vacances au Club Med sous les cocotiers. Juste la prison.

Qu’est-ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter ça? Persécuter son petit frère? La cuisinière? Le chat? Ou naître fille au mauvais endroit, à la mauvaise époque?

Dans son couvent, elle y a passé 10 ans. Si infernale que les religieuses et ses camarades l’appelaient «le dragon». Je ne sais pas s’il y avait des chats dans le couvent, mais ils ont dû faire gaffe à leurs moustaches.

Et voilà qu’après dix ans de taule, Catalina apprend qu’elle va prendre le voile. Tu seras religieuse, ma fille. Tu n’as pas le choix.

A 15 ans, elle prend perpète.

Si elle avait su ça à 5 ans, elle se serait peut-être tuée. A 15 ans, elle a l’âge de se sauver. Dans les deux sens du terme.

Pendant la nuit qui précède ses voeux, elle dérobe du fil, une aiguille, des ciseaux et fait le mur pendant que les bonnes soeurs rêvent de vie éternelle avec des anges gaulés comme des chevaliers.

Libre, enfin! Mais femme. Donc en danger, dans un monde de brutes. Bête traquée, elle se cache dans quelque trou, se coupe les cheveux, et avec le fil et l’aiguille, transforme sa robe de bure en chemise et chausses d’homme: les cours de couture des religieuses ont eu du bon.

Antonio de Erauso sort de sa cachette et se présente au monde, qui va bien vouloir du lui. Car l’habit fait l’homme et défait la nonne.

Antonio n’a aucun mal à trouver un boulot de page dans des grandes maisons de la ville. Les hasards de la vie – ou un destin facétieux – la mettent en présence de ses parents lors d’une fête: sous ses habits de larbin, ils ne la devinent pas ( comme quoi, l’instinct maternel, c’est très surfait). Il parait qu’ils l’ont cherchée au début, mais évidemment pas en garçon. Et encore moins en larbin.

Après quelques mois à jouer les serviteurs, Antonio est pris par la bougeotte: ça lui arrivera souvent. La ville ne lui suffit plus, le monde est vaste, il le pressent.

Alors elle embarque sur la première caravelle, direction… les Amériques! Elle aurait pu choisir la France – il n’y a que les Pyrénées à franchir – l’Angleterre si tu ne crains pas la pluie, le Portugal, l’Italie… non! Les Amériques ou rien.

Chili, Pérou… Catalina – Antonio roule sa bosse et enchaîne les petits boulots, avant de s’engager comme soldat. Où a-t-elle appris à manier l’épée? Sur le tas, hasard des rencontres et des amitiés viriles. Elle la manie, et bien. Elle trucide, embroche, fend et pourfend avec maestria: les malheureux Indiens Araucans en font l’amère expérience. On la nomme alferez, lieutenant; partout dans les villages les autochtones tremblent à l’annonce de sa venue. A elle la vie de la soldatesque, les tripots, le jeu, les rixes. Parce que Madame-devenue-Monsieur a toujours un sale caractère et désormais les moyens de sa colère.

Un soir, c’est la rixe de trop: trop de vin, trop de testostérone, trop de nuit pour bien y voir, pour voir qui on a en face. Un homme se joint à ses adversaires pour la narguer, elle l’embroche derechef. Une torche éclaire le visage du mort: Catalina reconnait Miguel, son frère, venu comme elle tenter sa chance dans le Nouveau Monde.

De facétieux, le destin peut parfois se montrer très con.

Catalina s’enfuit pour échapper à l’emprisonnement et au remords. Son chagrin lui fait traverser la Cordillère des Andes, ses compagnons meurent de froid, pas elle: elle aurait bien aimé pourtant! Elle continue à fuir, loin, toujours plus loin… jusqu’à ce qu’elle rencontre un évêque, un saint homme sûrement. Et devant lui, elle craque: elle avoue tout, le meurtre de son frère, celui des Indiens (l’évêque s’en fout), la véritable nature de son sexe ( ça, l’évêque ne s’en fout pas du tout). Magnanime, l’évêque lui promet le pardon de Dieu, à condition qu’elle renonce aux habits d’homme: il est bien plus grave de cacher sa nature féminine que de trucider son prochain, fût-il son propre frère. Il lui faut aussi se faire examiner. Examiner quoi? Ben…. Pourquoi faire? Pour vérifier qu’elle est bien vierge. Par qui? Des religieuses. Ouf!

Heureusement pour elle, elle l’est. Sinon, l’offense aux yeux de Dieu eût été plus grave encore que des massacres d’Indiens. Et Dieu seul sait comment Catalina aurait fini? Brûlée comme une sorcière?

A ce niveau du récit, on est bien d’accord que si Catalina est vierge, c’est qu’elle a fricoté avec des femmes. Qui ont dû être très surprises, ce qui ne veut pas dire déçues, par ce très étonnant alferez.

C’est fini. Catalina renonce à l’aventure, à l’exaltation, au port des chausses et de l’épée, à la vie d’homme, aux jolies femmes, aux amours lesbiennes, aux Amériques.

Elle rentre. L’Espagne célèbre la Monja Alferez. Le roi Philippe IV la reçoit, lui donne plein de pépettes. Mais voilà: habillée en femme, Catalina s’emmerde. Une robe, ça n’est pas pratique pour monter à cheval. Les activités réservées aux femmes, c’est vraiment trop… pas assez… c’est pas possible, quoi!

Alors elle décide d’aller voir le pape – Urbain VIII à l’époque – et lui demande l’autorisation de reprendre les habits d’homme. Accordé mon lieutenant! Un vrai miracle.

Revigorée par l’autorisation papale, Catalina-Antonio décide  de retourner aux Amériques. Où il-elle continuera sa vie, plus simplement, comme marchand de mules et d’esclaves – c’est kif-kif bourricot à l’époque -. Et il-elle la finira de très sordide façon, au fond d’un ravin, occis par des bandits de grand chemin.

Triste épilogue? Qu’importe! Tout plutôt que passer sa vie à prier Dieu et filer la laine dans l’Espagne des Habsbourg. 

Écrit par : Sophie Denis