L’anatomie d’une vie

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L’origine des larmes de Jean-Paul Dubois

2019 – 2024.

Cinq ans. C’est rien de dire qu’on l’a attendu, le nouveau Jean-Paul Dubois! Cinq ans depuis le précédent, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, justement récompensé d’un prix Goncourt.

Il est donc là, en librairie depuis le 15 mars. Les éditions de l’Olivier n’ayant pas pensé à m’envoyer un pigeon voyageur, c’est en scrollant benoitement le lendemain au réveil que j’ai appris la nouvelle. Comme quoi, c’est pas toujours si con que ça de scroller au réveil, surtout un samedi matin. Parce que ça m’a mise en joie pour le week-end. Une petite lumière dans un monde, qui, par ailleurs, ne fait aucun effort pour nous remonter le moral.

Et pourtant, la lumière, elle n’y est pas trop, dans le nouveau Dubois. Ou alors au bout d’un long tunnel.  L’origine des larmes. Magnifique, ce titre, en plus d’être humide.

L'écrivain Jean-Paul Dubois chez lui à Toulouse. Aout 2016. The writer, Jean-Paul Dubois at home in Toulouse. August 2016Photo: Ulrich Lebeuf / M.Y.O.P

On est en 2031, et loin d’être confite sous le soleil, Toulouse se noie dans les eaux de la Garonne, devenue folle de tant de dérèglement climatique: une sorte de lente fin du monde, où la terre pleure à gros bouillons sur elle-même et sur le sort que les humains lui ont réservé, sans doute pour la remercier de les supporter, eux et leurs folies destructrices, depuis si longtemps.

Paul, 51 ans, vient de tirer deux balles dans la tête de son père, Thomas Lanski. Petit détail: Lanski est déjà mort, et Paul le sait. S’il est absurde, l’acte est quand même  répréhensible et vaut à Paul une année d’obligation de soins auprès d’un psychiatre, auquel le fils indigne va devoir dérouler sa vie et tenter d’expliquer les raisons de son geste: raconter le pourquoi de la haine.

On retrouve les fondamentaux de l’écrivain: Toulouse, plus gris pluvieux que rose joyeux; une pincée de Canada, une lichette de Pays Basque, juste le temps de me donner envie de lire le roman sur la plage de Parlementia; un chien, bien sûr, il y a toujours des chiens chez Dubois, cet amoureux transi de la gent canine: celui-là s’appelle Watson, bâtard affilié à la race northlander, inventée de toutes pièces par son maître, un brin viking, un poil panda, et un chouilla ragondin à ses heures perdues. 

Et un héros, anti-héros plutôt, qui s’appelle Paul. Les hommes s’appellent souvent Paul chez Dubois, Jean-Paul. Ils font souvent de curieux métiers: notre apprenti parricide dirige une entreprise de sacs mortuaires. Et il souffre, encore plus que les précédents anti-héros de l’écrivain. Parce que la vie ne s’est pas contentée d’être absurde avec lui, elle s’est montrée de la plus grande cruauté: une mère et un frère jumeau morts à sa naissance, ça fait beaucoup pour un futur dépressif. «Depuis ce premier jour, il y a un trou en moi». Un trou que cinquante et une années de vie n’ont jamais réussi à combler. «Parfois je le sens, il bouge, change de position ou prend toute la place. Il patiente, il a tout son temps. Il attend que je tombe dedans».

Au fil des pages, on croise donc Watson, le chien sauveur, Gutzman, le psychiatre qui pleure, Lanski, le père monstrueux aussi laid qu’une murène, une IA compréhensive, Jonas, un navigateur opiniâtre privé de sa baleine, un peintre coréen qui peint des gouttes d’eau. Et des mots intrigants, comme ursodésoxycholique ou empyreume, qui, contrairement à northlander, existent bien et dont je laisse le plaisir de trouver la définition à ceux qui, comme moi, sont restés cois.

Les précédents romans, dont le prix Goncourt, et mon préféré, paru en 2016, La Succession, étaient mélancoliques; celui-là frôle le désespoir, concentré sur une question, LA question: peut-on s’épanouir sans amour ( hors celui d’un chien)? Avec poésie, une pincée d’humour et toujours beaucoup de tendresse pour les pauvres humains que nous sommes, Jean-Paul Dubois, écrivain essentiel, nous donne sa réponse, au gré d’une plume de plus en plus ciselée, petite lumière d’humanité dans un monde pourtant bien sombre. A l’image de retrouvailles inespérées sur une plage basque avec un chien têtu. 

L’origine des larmes, éditions de l’Olivier, mars 2024.

Crédit photo: Ulrich Lebeuf, éditions de l’Olivier.

Écrit par : Sophie Denis

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