Le jardin enchanté du docteur Munthe

Capri1

Je ne suis pas méditerranéenne.

Depuis l’enfance, nourrie à l’iode et aux parfums de goémon, à la morsure de l’onde fraîche, à l’écume des rouleaux et aux cieux capricieux. Le bleu triomphant des cartes postales m’ennuie.

Atlantique, donc. Longues plages de sable et non criques secrètes, eau à 20° plutôt qu’à 25, bars plutôt que loups dans l’assiette.
Ça, c’était avant Capri.

Parce qu’il ne faut pas rester campée trop longtemps sur ses positions – on risque des crampes – j’ai accompagné une amie dans cet archétype de la petite île italienne léchée sous tous les angles, romantique, médiatisée et chic mais bouffée par le fric.

A Capri île, nous avons délaissé Capri village pour sa voisine Anacapri, plus authentique, bien pomponnée mais sans boutique Prada et touristes refaites qui exhibent toute la sainte journée leurs nouvelles lèvres sur Instagram. Bien nous en a pris, car Anacapri abrite un joyau: la villa San Michèle et ses jardins. Une demeure blanche, agrippée à flanc de rocher à 250 mètres au-dessus de la baie de Naples, belle mais sans chichis, à l’image de celui qui la fit construire: le docteur Axel Munthe. Ce médecin suédois, qui étudia à Paris dans les années 1870 avant de soigner à Londres, Rome et Naples, voulait une maison emplie de lumière, ouverte au soleil et au vent comme un temple grec. Il mit vingt ans à la construire, rêve de paradis philanthrope, sur les ruines d’une villa romaine qui appartint à l’empereur Tibère.

Villa San Michele

Des arcades, une perspective de colonnes, une longue pergola peuplée de statues antiques, ici un buste romain, là une amphore peut-être grecque, peut-être une copie: le docteur Munthe aimait le beau avant d’être un amateur averti. En progressant sous la pergola, une curieuse émotion m’a saisie, une envie de pleurer, mais de bonheur. Les perspectives sur la mer, si loin, si proche, sont étourdissantes: en se penchant par-dessus le parapet, on ne sait si on va tomber dans l’eau ou dans le ciel. La vigueur d’un pin qui s’obstine à conquérir l’azur comme un héros tragique, éblouit l’âme, les essences méditerranéennes qui dialoguent avec les vestiges antiques composent un écrin rassurant pour nous autres, pauvres mortels. C’est peut-être de là que surgit l’émotion: la sensation d’être arrivée à bon port, de retour chez soi, un chez soi qu’on avait oublié, qu’on découvre à nouveau, avec l’émerveillement des premiers temps de l’humanité.

Adouci par les siècles qui ont poli ses courbes, un sphynx en vigie sur le vide contemple Sorrente de l’autre côté de la mer. Quel secret derrière ses yeux morts? Où Axel Munthe l’a-t-il déniché? Qui était cet Axel Munthe?

Médecin donc, né à Stockholm en 1857, étudiant parisien où il fut élève de Charcot, praticien dans les capitales européennes où il soignait les riches de leur ennui et les têtes couronnées, dont Victoria la reine de Suède, à qui il jouait du piano dans la délicieuse chapelle de San Michele, peut-être avant de lui faire l’amour, comment savoir; il s’occupait aussi des pauvres, à Rome, Naples pendant l’épidémie de choléra de 1883, Messine après le tremblement de terre de 1908, Capri son île adorée, les pauvres que bien sûr il ne faisait pas payer, les riches étaient là pour ça. Il s’intéressa à l’hypnose, aux médecines alternatives, aux maladies psycho-somatiques – avec toutes ces grandes bourgeoises qui se cherchaient dans des maux fantasmés une raison d’exister, il avait de beaux sujets d’étude – et pratiqua l’euthanasie pendant la guerre de 14, pour mettre fin au calvaire des soldats qui mouraient dans d’atroces souffrances. Humain, humaniste et philanthrope, il manifestait aussi de l’empathie pour les animaux, adorait les chiens, il en avait quatre ainsi qu’un singe, et avait une passion pour les oiseaux: à Capri, il acheta des terres pour les transformer en sanctuaires ornithologiques préservés de la chasse. Un des premiers défenseurs de la cause animale, donc. Malaparte, qui le fréquentait en voisin depuis sa villa-bunker de Capo Massulio, à l’est de l’île, (oui, celle du film Le Mépris), en fit un des personnages de son roman Kaputt, sous son propre nom.

En trainant dans la boutique de la Villa San Michele – désormais propriété de l’ambassade de Suède – je suis tombée sur l’écrit le plus connu du docteur, qui aimait aussi écrire: Le Livre de San Michele, une autobiographie poétique et drôle qui lève un peu le voile sur ce médecin décidément hors du commun.
Quelquefois, il faut un voyage pour découvrir une vie, un homme, un livre.

Le livre de San Michele, Axel Munthe, Albin Michel.

Écrit par : Sophie Denis

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