La Dinde est prête

SCÈNE 1:

LES PRÉPARATIFS

 Scène divisée en deux: à gauche la cuisine, à droite le salon. Entre les deux, une cloison. Elle s’affaire dans la cuisine, lui met le couvert.

 MÈRE (enfourne un plat): Et voilà! C’est parti pour 1h30. Tu as fini?

PÈRE: Presque.

MÈRE: Qu’est-ce que tu es lent!

PÈRE: Je fais ça bien.

MÈRE: N’oublie pas les fourchettes à dessert. Et les fourchettes à huîtres. Tu te rappelles de la différence?

PÈRE: Une fourchette reste une fourchette. Un truc avec des dents.

MÈRE: 2 pour l’huître, 3 pour le dessert.

PÈRE: Je pense que l’huître ne verra pas la différence, au moment du sacrifice.

MÈRE: C’est d’une banalité, les huîtres.

PÈRE: Un classique du repas de Noël.

MÈRE: Avant ma dinde au chocolat, ça va faire bizarre.

PÈRE: C’est ta dinde au chocolat qui va faire bizarre.

MÈRE: Une recette mexicaine de Noël. On ne peut pas toujours la faire aux marrons.

PÈRE: Rien qu’une fois aux marrons….

MÈRE: Tu as bien de la chance d’avoir une femme cordon bleu.

PÈRE: J’ai une femme, c’est déjà ça.

MÈRE (goûte dans un plat): Délicieuse, mon entrée… Tu veux savoir?

PÈRE: J’ai hâte….

MÈRE: Empanadas aux huîtres et guacamole. Une création maison!

PÈRE: Oh, mon Dieu….

MÈRE: J’aurais pu en faire beaucoup plus si tu m’avais laissé la bourriche entière.

PÈRE : Si tu t’ en approches, je t’embroche avec une fourchette à 3 dents.

MÈRE: Dommage que tu n’aies pas réussi à trouver du vin mexicain. Chilien, ça aurait pu le faire non?

PÈRE: Le vin, c’est une affaire d’hommes. (Contemple amoureusement des carafes en train de décanter). Saint-Emilion 98, Margaux 95….

MÈRE: Ou alors tout à la tequila.

 PÈRE: Mon gendre bourré à la tequila: je vois ça d’ici.

MÈRE: Tu n’oublies pas que tu ne dois pas boire?

PÈRE: Je ne pense qu’à ça. ( se sert un verre).

MÈRE: Pas bon pour tes artères: c’est le médecin qui l’a dit.

PÈRE: Le médecin n’est pas invité, une chance.

MÈRE: Je suis triste. Mon premier Noël sans Maman. Ca me fait drôle

PÈRE (jubile dans sa barbe): Oui, moi aussi….. L’année dernière elle avait quand même bien cassé l’ambiance, en plus du service de flûtes à champagne.

MÈRE (entre): Chéri! Elle est malade! Et le médecin de la maison de retraite avait dit qu’il fallait continuer à la sociabiliser, ça la maintenait en forme. (Elle lui tend un empanada) Alors?

PÈRE (fait une énorme grimace):Ta mère n’a jamais été très sociable. Et elle se maintient au-delà du raisonnable. Cette année, elle est intransportable, c’est le médecin qui l’a dit. Il faudrait louer un tracto-pelle.

MÈRE (retourne à la cuisine) On aurait dû essayer.. Elle va nous manquer. Surtout à Justine.

PÈRE: Elles font la paire, ces deux-là. Deux emmerdeuses.

MÈRE: Ne commence pas avec ta fille!

PÈRE: A quelle heure elle va se pointer? Tu as une idée?

MÈRE: Elle habite loin et elle n’a pas de voiture. Tu n’avais qu’à aller la chercher.

PIERRE : Hors de question que je m’éloigne de mes huîtres.

MÈRE: Tu as bien mis les serviettes en damas, celles avec les fleurs?

PÈRE (boit, assis dans un fauteuil): Oui.

MÈRE ( et Père qui dit en même temps): Et les verres en cristal de Tante Gilberte?

PÈRE: Oui.

MÈRE: Tu les as mis dans l’ordre ( Père dit en même temps): le verre à eau, le verre à vin, et le verre à liqueur? (Père met de la musique de plus en plus fort. Du jazz. Elle parle de plus en plus fort). Et les porte-couteaux en étain, le chat pour les femmes et le teckel pour les hommes? (Elle entre) Qu’est-ce que c’est que cette musique? C’est insupportable.

PÈRE: Tu préfères Viva Zapatta? Ou Currucucu Paloma?

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