Impasse et pass

Appartement bourgeois. Scène divisée en deux: à droite le salon et la salle à manger; à gauche, séparée par une cloison, une petite pièce, équipée d’un WC, mais pas que: deux chaises, une petite table, des étagères avec des livres.

 

JEREMIE Ils arrivent à quelle heure?

SOPHIE (depuis la cuisine qu’on ne voit pas): Je leur ai dit 20H. C’est jeudi: ils n’ont pas intérêt à être en retard.

JEREMIE: On aurait dû les inviter plutôt demain.

SOPHIE: Ca n’aurait rien changé. Alain n’aurait pas été du bon côté de la ville.

JEREMIE: Alain se débrouille toujours. Pour Karine et Baptiste, c’est plus problématique.

SOPHIE: Surtout pour Karine. Elle nous en aurait fait tout un foin, elle comprend jamais rien.

JEREMIE: C’est ta copine.

SOPHIE: Non, c’est la nouvelle compagne de ton pote. Pas le modèle le plus futé. Quant à lui, il sait bien tricher quand ça l’arrange.

JEREMIE: D’habitude, oui. Mais là, je crois qu’il n’a plus de points. C’est chaud, s’il se fait choper.

SOPHIE (entre): Je ne suis pas inquiète. En 40, il aurait vendu du schnaps aux Français et du champagne aux Allemands. Et le paradis aux Juifs.

JEREMIE: Évidemment, il tient un bar. En tous cas, hors de question de les garder pour la nuit: ils rentrent tous chez eux après dîner.

SOPHIE: Tu es un super pote, toi!

JEREMIE: Ils ne choperont pas d’amende: il n’y a plus assez de drones dans le quartier pour surveiller tous les immeubles.

SOPHIE: C’est vrai que depuis les tirs d’il y a un mois, on est enfin tranquilles.

JEREMIE: Je me demande qui a bien pu les descendre. On parle d’un mystérieux mouvement, Le Réveil des moutons noirs. Tu crois que ça vient de l’immeuble? Le voisin du dessus? Ou peut-être le prof de philo, en face?

SOPHIE: C’est un prof. Pas un tireur d’élite.

JEREMIE: Oui, mais tendance anarcho-libertaire, ces gens-là sont contre toute forme d’obéissance.

SOPHIE: Au niveau auquel nous sommes tous descendus, c’est plus de l’obéissance, c’est de la soumission assumée à la sodomie, tendance maso.

JEREMIE: Tu exagères! Au moins, les drones nous évitent tout risque de cambriolage.

SOPHIE: Rappelle-moi combien de fois on a été cambriolé?

JEREMIE: Comme ça, on est sûr qu’on ne le sera jamais. Je sais, tu t’en fous, tu n’es pas matérialiste.

SOPHIE: Avec toi, ça fait une moyenne. Au fait, tu as prévu combien de bouteilles?

JEREMIE: Est-ce qu’on a le choix? Trois, puisqu’on est six. On ne peut pas se permettre plus.

SOPHIE: Baptiste va nous apporter du complément.

JEREMIE: J’espère qu’il va être discret, cette fois-ci.

SOPHIE: Baptiste, discret? Ça pourrait être une femme.

JEREMIE: Baptiste n’est pas du tout féminin.

SOPHIE: L’auteur des coups de feu.

JEREMIE : N’importe quoi! Tu vois une femme tirer sur des drones? Et les abattre en plus?

SOPHIE: Où ai-je la tête! Je vais retourner à ma cuisine descendre quelques diptères avec ma tapette à mouches, c’est plus dans mes cordes.

JEREMIE: Tu crois que Nicolas sera à l’heure? Tu n’aurais pas dû l’inviter.

SOPHIE : C’est mon frère. Et il ne va pas bien en ce moment.

JEREMIE: Il n’a qu’à faire comme tout le monde. Mais Monsieur joue les rebelles, le Che Guevara de la Garennes-Colombes. Gay, en plus!

SOPHIE: Et alors? En quoi être hétéro prédisposerait à être un rebelle? J’ai pas d’exemple proche.

Impasse

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