Il reste encore demain, de Paola Cortellesi
Le film commence par une baffe en guise de bonjour matinal et s’achève sur un doigt d’honneur symbolique et réjouissant.
C’è ancora domani – plus joli en italien, n’est-ce pas? – est un film phénomène, qui a déjà fait six millions d’entrées en Italie, devant Barbie et Oppenheimer. Il est quand même jouissif de penser qu’une louve romaine, belle comme Sophia Loren dans Une journée particulière, a battu la blonde peroxydée américaine, fabriquée en Chine, ainsi que l’inventeur de la bombe nucléaire.
Rome, 1946. Delia est une mère courage, qui court toute la journée après les petits boulots pour nourrir ses trois enfants, un mari macho qui n’en glande pas une – mais le pauvre est traumatisé parce qu’il a fait deux guerres, faut le comprendre – et un beau-père tyrannique aux mains baladeuses. Malgré ses robes rapiécées et sa vie merdique, Delia reste belle et digne. Même sous les coups répétés de son mari, qui soigne ses frustrations en la prenant pour un punching-ball, adepte du «Bats ta femme, même si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait». Bien sûr, lui sait toujours pourquoi: un plat cassé, le repas du soir qui a brûlé dans la marmite, la chasse d’eau qui a rendu l’âme, le.. la… rien, prends ça quand même! Delia fait le dos rond, encaisse, résiste. Pour ses enfants. Parce que les femmes savent résister, c’est dans leur nature. Un jour, elle reçoit une lettre mystérieuse qui va bouleverser sa vie.
Ne comptez pas sur moi pour aller plus loin, ce serait vous priver d’une fin qui fait du bien, lumineuse comme un rayon de soleil qui déchire les nuages.
Le film est en noir et blanc, format carré, hommage au cinéma néoréaliste italien, mais aussi, comme l’a dit la réalisatrice, à ses grand-mères qui ont vécu dans la Rome du tout juste après-guerre, encore fascisante et sacrément patriarcale. La famille de Delia a un petit air d’Affreux, sales et méchants, en moins déclassé, version appartement en sous-sol plutôt que bidonville. Les scènes du repas de fiançailles et la veillée mortuaire du beau-père pourraient sortir d’un Dino Risi. Mais derrière la caméra, c’est une femme, avec un regard et une sensibilité de femme.
Certains critiques – hommes – du Masque et la Plume n’ont pas aimé le traitement rétro d’un sujet toujours actuel, la violence patriarcale, le choix de ne pas montrer les coups sur le visage de la femme, mais de les suggérer à travers le regard horrifié d’un GI, voire de les transfigurer dans un tango pourtant très explicite. Le même genre de reproche a été fait à Jonathan Glaser dans La zone d’intérêt: traiter la Shoah sans la montrer, mais en la faisant entendre, ce serait l’invisibiliser.
D’abord, ce genre de remarque fait fi de la liberté de création propre à chaque artiste. Ensuite, il est amusant de constater la propension qu’ont les hommes à vouloir expliquer aux femmes comment elles doivent s’y prendre, y compris sur un sujet qui les touche au premier plan, puisqu’elles en sont les premières victimes. Rappelons quand même que les violences faites aux femmes ne perdurent pas à cause du traitement choisi par Paola Cortellesi pour illustrer le sujet mais parce que les pères (les mères aussi) n’apprennent pas à leurs fils à respecter les femmes. Commencez par le début en montrant l’exemple, Messieurs! Balayez, balayez devant votre porte…
En Italie, des professeurs de collège emmènent leurs élèves voir le film, preuve qu’il n’est pas besoin de montrer la réalité toute crue pour faire comprendre: la pédagogie peut aussi passer par la poésie, la symbolique, l’art en somme.
Paola Cortellesi réalise ici son premier film. Humoriste, présentatrice, chanteuse, elle tient aussi le rôle principal avec un charisme renversant et une beauté lumineuse, face à Valério Mastandrea, acteur chevronné, dans le rôle de l’homme inachevé. La bande originale apporte la touche décalée qui contribue à tirer ce qui ne pourrait être qu’un mélo vers autre chose, entre rires et larmes: un excellent film.
Il reste encore demain: courrez le voir, vite, avant qu’il ne soit trop tard.