Bellissima Simonetta

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Ce livre m’a bouleversée.

Pas une nouveauté, même s’il vient de sortir en poche; mais j’étais passée à côté. On ne peut pas tout lire.

Mais les livres, c’est comme les gens: ceux que tu dois rencontrer, parce qu’ils sont importants pour toi, tu finis par croiser leur route, tôt ou tard.

Avant-hier, en présentoir dans ma librairie, chez Mollat, allez donc savoir pourquoi, il m’a happée. Peut-être parce que je connais l’auteure. J’ai croisé Simonetta Greggio ll y a une vingtaine d’années, quand elle était encore journaliste et écrivaine en pointillé. Son premier roman, La Douceur des hommes, est sorti en 2005. Je me souviens avoir aussi lu avec plaisir L’homme qui aimait ma femme, et des nouvelles, L’odeur du figuier. Je savais qu’elle avait été finaliste ( Interallié, Renaudot) pour deux romans qui parlent de son pays, Dolce Vita et Les nouveaux monstres, qu’elle appelle son autobiographie intime de l’Italie, mais je les avais négligés.

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Celui-ci clôt cette trilogie qui raconte l’Italie depuis 1960, celle des années de plomb, des Brigades rouges et des attentats, de la guerre civile non déclarée entre les rouges et les noirs, de Berlusconi et de ses scandales, de la collusion entre l’état, le Vatican et la mafia.

Bellissima est différent parce qu’il est écrit à la première personne: pour la première fois, Simonetta ose parler d’elle et de sa famille, en replaçant trois générations dans le contexte politique d’un pays qui n’a toujours pas réglé ses comptes avec le fascisme. On y croise une petite fille juive miraculeusement sauvée et élevée par un couple de notables fascistes, une mère attentionnée mais terriblement dépendante de l’homme qu’elle a dans la peau, un père qui ne sait que faire de l’amour débordant de sa petite fille et en est conduit à frapper, plutôt qu’à écouter, comprendre et laisser parler les sentiments qu’il a enfoui dans son coeur.

Tout le talent de Simonetta Greggio, c’est de décrire avec justesse et sensibilité comment un pays qui n’a pas fait le deuil de son attirance pour un homme fort a pu jouer un rôle de premier plan dans l’histoire de la violence familiale. Une violence que l’écrivaine a subie de plein fouet quand elle n’était encore qu’une enfant.

Un autre grand intérêt du livre est de rappeler à quelles extrémités ont pu se livrer les dirigeants du pays: on pense à la Démocratie chrétienne, bien sûr, qui a laissé mourir Aldo Moro aux mains des Brigades Rouges, voire les a poussées à le tuer, trop heureuse de se trouver un martyr pour redorer son image ( un thème aussi abordé dans l’excellente série Esterno Notte, signé Marco Bellochio, et diffusée sur Arte). Simonetta évoque aussi la fusillade de Portella della Ginestra en Sicile, le 1er mai 1947, où onze personnes trouvent la mort et des dizaines sont blessées.

L’auteur officiel en est un bandit sicilien, Salvatore Giuliano. Son cousin – qui pour sauver sa peau, a ensuite descendu Giuliano – finira par avouer qu’il est lui-même l’auteur du massacre commandité par une faction fasciste, avant de mourir empoisonné par son café en prison. Juste après avoir révélé que derrière cette faction, les véritables marionnettistes étaient le ministre de l’Intérieur et le fondateur du parti démocrate-chrétien sicilien. Le fils d’un des deux est l’actuel président de la république italienne. L’affaire est toujours classée secret d’Etat.

A l’heure où l’idée d’un homme – ou d’une femme – fort(e) centralisant tous les pouvoirs, en gratouille certains dans notre beau pays, jusqu’à la tête de partis qui jouèrent à certains moments de notre histoire une partition réellement républicaine, je ne saurais trop recommander la lecture de Bellissima. On ne mélange pas les torchons et les serviettes.

Par ces temps qui s’annoncent obscurs, une lecture nécessaire.

Conquise par Bellissima ( qui est la figure de la mère de Simonetta, mais aussi celle d’Anna Magnani dans le film éponyme de Visconti mettant en scène une femme pauvre, bien décidée à sortir sa fille de sa médiocre condition) je vais me plonger dans Dolce Vita, puis Les Nouveaux monstres.

Il n’est jamais trop tard pour rencontrer des livres. Et comprendre le monde.

Bellissima, Simonetta Greggio, (J’ai lu).

Écrit par : Sophie Denis